La liberté d’expression : un même droit pour tous ?
La liberté d’expression est, aujourd’hui, l’une des libertés les plus précieuses de nos sociétés démocratiques. Pourtant, son exercice se heurte encore bien souvent à de nombreux obstacles. Si la liberté d’expression est essentielle à la démocratie, elle n’est pas absolue. Quelles en sont les limites ? Quelles difficultés découlent de son exercice ? Sommes-nous tous égaux face à ce droit ? Telles étaient les réflexions menées lors du colloque organisé par la Faculté de droit et l’Association des juristes namurois, présidé par Françoise Tulkens, ancienne vice-présidente de la Cour européenne des droits de l’Homme.
Six figures de la liberté d’expression
Le colloque a interrogé la liberté d’expression à travers six figures pour lesquelles cette liberté fait débat : les journalistes, les hommes politiques, les (non-)croyants, les enfants, les avocats et les acteurs de l’enseignement et de la recherche.
Quentin Van Enis, maître de conférences à l’UNamur, avocat et membre du Conseil de déontologie journalistique, s’est tout d’abord interrogé sur le champ des « journalistes ». A l’heure de l’internet, ne serions-nous pas tous devenus « journalistes », susceptibles de jouer le rôle de « chiens de garde » de la démocratie ? Selon l’orateur, les principes gouvernant la liberté d’expression journalistique doivent s’étendre à toute personne qui entend contribuer au débat public. Il a ensuite fait le point sur l’existence de droits spécifiques en faveur des personnes exerçant des activités journalistiques, avec une attention particulière sur la collecte préalable des informations et mis en évidence différents mécanismes permettant d’exercer un contrôle sur la presse. « Si la liberté d’expression est une condition nécessaire au maintien d’un journalisme de qualité, elle n’en est point une condition suffisante », a-t-il conclu, soulignant à cet égard le rôle important joué par l’autorégulation et l’éthique journalistique en vue de garantir la confiance du public.
Marc Nihoul, doyen de la Faculté de droit, s’est intéressé à la liberté d’expression des acteurs de l’enseignement et de la recherche, qu’il nomme « liberté d’expression académique ». Il a dressé le profil de l'acteur protégé, le profil de risques encourus par celui-ci et le profil de résultat de la protection dont il bénéficie. A ce jour, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme concerne principalement des acteurs de l’enseignement supérieur universitaire. Il n'est pas exclu que la Cour étende sa protection aux autres acteurs, dont l'étudiant, en l'absence d'arrêt en sens contraire. Le cas échéant, les critères de reconnaissance et l'intensité de la protection varieraient selon les circonstances. De façon générale, la Cour souligne l'importance de la liberté d’expression académique mais en pratique il est difficile d'évaluer si elle est plus grande que celle des autres citoyens.
Hendrik Vuye, professeur à l’UNamur et membre de la Chambre des représentants, a constaté dans son intervention que la liberté d’expression des hommes politiques est en principe très large, presque sans limite notamment lorsque ceux-ci critiquent le gouvernement ou s’expriment devant une assemblée.
Afin de comparer les positions des juges de Bruxelles (Cour constitutionnelle) et de Strasbourg (Cour européenne des droits de l’homme) relatives à la liberté d’expression religieuse, Noémie Renuart, assistante à l’UNamur, a pris l’exemple de l’interdiction du port du voile intégral dans les lieux publics. Du côté strasbourgeois, cette interdiction a été admise, au nom du principe du « vivre-ensemble », tandis que du côté bruxellois, la Cour constitutionnelle a accepté comme objectifs poursuivis par le législateur, outre le « vivre ensemble », la sécurité publique et l’égalité hommes-femmes. «Il s’agit évidemment d’une ingérence dans la liberté d’expression religieuse », comme le souligne l’oratrice, qui voit la Convention européenne des droits de l’homme comme un instrument vivant, avec pour conséquence une redéfinition permanente de la liberté d’expression religieuse dans le cadre de laquelle la Convention et les législations nationales s’influencent réciproquement.
Jacques Fierens, professeur à l’UNamur et avocat lui-même, a retracé les méandres de la liberté d’expression des avocats à travers quelques affaires mettant en cause ses confrères. L’immunité de plaidoirie, le secret professionnel, le port de signes religieux à l’audience, l’utilisation de la presse par les avocats, la publicité faite par les cabinets d’avocats ont notamment été abordés. D’après ce spécialiste, « les avocats ne peuvent se passer de liberté d’expression, la liberté d’expression ne peut se passer des avocats »
Selon Anne-Catherine Rasson, assistante à l’UNamur, les droits fondamentaux, et donc le droit à la liberté d’expression, appartiennent aux enfants, comme aux adultes. Ils détiennent en outre des droits spécifiques pour répondre à leur besoin de protection et d’autonomie. Dans leur cas particulier, la liberté d’expression doit pouvoir s’exercer non seulement dans une dimension verticale, mais aussi dans une dimension horizontale, notamment dans leurs relations avec ceux qui exercent l’autorité parentale. Les enfants bénéficient par ailleurs du droit spécifique de participation, protégé tant sur le plan universel qu’européen ou national, qui garantit l’effectivité de leurs droits et que l’on retrouve par exemple dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme ou dans la législation belge, mais qui contient de nombreux écueils qu’il faut tenter de dépasser (conflits de loyauté, équilibre entre protection et autonomie, enfant mini-adulte, …).
Le chemin vers la liberté d’expression pour tous est donc parsemé d’embûches. Comme l’exprimait, dans sa conclusion, Alexis Deswaef, président de la Ligue des droits de l‘Homme, sur le thème du port de la burqua : « est-ce que tout ce qui dérange dans notre société finira par être interdit ? ». Il a ainsi montré, au gré des figures étudiées et d’exemples issus de l’actualité, qu’il fallait faire preuve de vigilance pour que ce droit à la liberté d’expression, fondement de la démocratie, soit préservé.
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Anne-Catherine Rasson
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