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L’histoire de l’informatique : une suite de hasards

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La vitrine de la machine Burroughs série M [Moon-Hopkins] inaugurée par la Faculté d'informatique et expliquée par Marie d’Udekem-Gevers

Une vitrine d’exposition de la machine Burroughs série M [Moon-Hopkins], offerte par Jacques Laffut à la Faculté d’informatique de l’UNamur, vient d’être inaugurée. Commercialisée dès 1951, cette machine à calculer marque une étape dans l’histoire de l’informatique pour deux raisons : elle pouvait être partiellement programmée et était programmée à l’aide de taquets. Elle est également légendaire puisque Georges Lemaître a utilisé ce type de machine pour réaliser les calculs scientifiques qui allaient aboutir à la Théorie du Big Bang. Une belle occasion pour revenir sur l’histoire de l’informatique avec Marie d’Udekem-Gevers, chargée de cours extérieure à la Faculté d’informatique.

Les racines de l’informatique

Si le terme informatique n’a été inventé qu’en 1962 par Philippe Dreyfus, ancien directeur chez Bull, en joignant le début du mot « information » et la fin de celui « automatique », les concepts sous-jacents sont évidemment beaucoup plus anciens. Depuis la nuit des temps, l’homme rêve d’automatisme mais il semble que les premières réalisations, reposant notamment sur des programmes enregistrés sur des supports à dents, n’en datent que du IIIe siècle avant notre ère et soient l’œuvre de l’Ecole de Mécaniciens d’Alexandrie. La suite de l’histoire de l’automatisme se produit selon un parcours sinueux, impliquant successivement, de façon complètement imprévue, différents domaines de l’activité humaine.

Au XIIe siècle, on voit apparaître au sein de monastères européens le premier réveille-matin, ou plutôt réveille-‘matines’ dont le but est d’automatiser la sonnerie de réveil des moines pour la première prière de la journée. Pour ce faire, les moines couplent l’écoulement de l’eau d’une clepsydre à la frappe d’une (ou plusieurs) cloche(s) via une roue à picots. A la fin du XIIIe siècle, toujours dans des monastères (probablement en Angleterre) apparaît une invention, à la fois inattendue et passée inaperçue à l’époque, celle des horloges mécaniques. Des automates, annexes de ces nouvelles horloges, sont ensuite mis au point : ainsi, par exemple, les sonneries horaires, dont le programme est une roue à bosses (qui dictent le nombre de coups à sonner en fonction de l’heure). Au plus tard, au XVIe siècle, les picots des roues ou cylindres de programmation des carillons deviennent mobiles pour permettre de varier les mélodies. Pour la première fois, les supports de programme peuvent être modifiés.

Le jalon important suivant de l’histoire de la programmation se situe dans le domaine des métiers à tisser. En effet, à partir de 1725, on y utilise des cartons perforés pour programmer les dessins dans les tissus. Un fameux progrès qui rend les programmes échangeables et potentiellement beaucoup plus longs que précédemment.  Une technique qui inspire… En effet, en 1834, Charles Babbage lance l’idée de concevoir une machine à calculer programmable, appelée « Machine analytique ». Cette dernière, restée au stade de projet, devait être capable d’effectuer automatiquement n'importe quelle séquence d'opérations arithmétiques sur base d’un programme. Et, comme support de programme, Babbage avait décidé, comme il l’affirme explicitement dans un de ses écrits, de recourir à une séquence donnée de cartes perforées, semblables à celles de la machine à tisser de Jacquard, qu’il avait vu incidemment dans une exposition universelle.

L’invention de l’ordinateur

Durant la seconde guerre mondiale, de grands calculateurs sont construits pour faire face à une demande militaire, d’une part, aux USA (pour établir des tables numériques utilisées en balistique) et, d’autre part, en Grande-Bretagne, (en vue du décryptage des messages chiffrés envoyés par les Allemands). Parmi ces calculateurs : l’ENIAC (Electronic Numerical Integrator and Computer), réalisé à l'Université de Pennsylvanie par John Mauchly et J. Presper Eckert, rejoints ensuite par John von Neumann. Le programme de ce mastodonte électronique a pour particularité d’être « câblé ». Autrement dit, pour entrer un programme dans l’ENIAC, il faut réaliser manuellement des circuits électriques en introduisant des fiches aux endroits pertinents, ce qui prend plusieurs jours… L’exécution du programme est en revanche très rapide.

La voie de l’ENIAC n’est donc pas la bonne ! Il faut aligner la vitesse d’introduction sur celle d’exécution du programme. L’idée est alors de mettre le programme en mémoire centrale, ce qui implique obligatoirement, par ailleurs, de recourir à ce qui sera appelé ultérieurement un « langage machine ». Le premier texte qui évoque ce nouveau concept, définissant un ordinateur, date du 30 juin 1945 et est signé par J. von Neumann : « First Draft of a Report on the EDVAC (Electronic Discrete Variable Automatic Computer) ».

Un peu plus tard cette même année, Alan Turing écrit lui aussi un document, plus élaboré, sur ce nouveau concept. Mais ce n’est que le 21 juin 1948 que le premier ordinateur sera opérationnel : le Manchester Small Scale Experimental Machine (surnommé « The Baby »). Il s’agit d’un prototype réalisé à l’Université de Manchester par M. Newman, F. C. Williams et A. Turing. L’événement aléatoire qu’est la dispute survenue entre von Neumann, d’une part, et John Mauchly et J. Presper Eckert, d’autre part, est un des éléments d’explication du fait que le premier ordinateur opérationnel ne soit pas américain !

L’intrusion de l’ordinateur dans la vie sociale

Le 1er ordinateur commercialisé, aux Etats-Unis est l’UNIVAC (UNIVersal Automatic Computer), en 1951. L’année suivante, il sera projeté au-devant de la scène lors des élections présidentielles américaines. Car il permet, pour la première fois, de prédire, sur base d’un échantillon, les résultats d’une élection (la victoire d’Eisenhower) au cours d’une émission télévisée en direct. Un résultat auquel beaucoup de citoyens ne croient pas. L’ordinateur fait alors ses premiers pas, fracassants, dans la vie sociale.

L’arrivée d’Internet

Les premiers ordinateurs étaient isolés. Ils vont ensuite pouvoir être reliés entre eux et mis en réseaux. Internet nous est actuellement devenu indispensable. Cependant, lui aussi est né d’une suite de circonstances aléatoires, et non d’une volonté délibérée. Il est précédé de nombreux réseaux, notamment celui appelé SAGE (Semi Automatic Ground Environment). Ce dernier date de la ‘Guerre froide' et fut une riposte à l’explosion d'une bombe atomique expérimentale par les Soviétiques en août 1949. En effet, le gouvernement américain a alors accordé des crédits illimités pour la réalisation d’un réseau d’ordinateurs capable de surveiller le territoire américain et d’intercepter un missile en temps réel. Dans cette perspective, l’ordinateur nommé Whirlwind fut mis au point au MIT (Massachusetts Institute of Technology), opérationnel dès 1951, puis construit en série par IBM. SAGE fut complètement déployé en 1963. Comble de l’histoire : jamais il n’a dû être utilisé pour abattre un missile soviétique ! Il a par contre inspiré Joseph Licklider, l’initiateur de l’un des ancêtres de l’Internet, le réseau Arpanet, qui lui, avait pour but de relier les centres de recherche de quatorze universités américaines.

 

Contact : Marie d’Udekem-Gevers - marie.gevers@unamur.be