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Littérature et société: traces du totalitarisme

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Prof. A. Bosse et Dr. Atinati Mamatsashvili

Étudier l’impact du nazisme et du communisme dans la littérature est une démarche qui ne perdra jamais de son actualité pour Atinati Mamatsashvili. Cette post-doctorante géorgienne qui profite de son séjour à l’UNamur pour étendre son champ de recherche à la littérature belge francophone explique les enjeux de cette thématique.

« Les personnes n’ayant pas vécu concrètement sous un régime totalitaire risquent de ne pas se rendre compte que leur disparition n’est qu’un phénomène de surface. Des comportements totalitaires subsistent toujours chez l’homme. La littérature est le moyen idéal non seulement pour témoigner des totalitarismes du passé, mais aussi pour rappeler le danger permanent de l’avènement d’un nouveau système totalitaire » résume cette chercheuse qui effectue un séjour de deux années au sein du Groupe de recherche en littérature générale et comparée (CLGC), après une thèse à l’Université Aix-Marseille. Ses recherches se font sous l’égide de son promoteur namurois, la professeure Anke Bosse, porte-parole du CLGC, grâce à une bourse post-doctorale de l'Académie universitaire ‘Louvain’ cofinancée par le programme Marie Curie de la Commission européenne.

« J’ai vécu sous régime totalitaire jusqu’à mon adolescence, et aujourd’hui je remarque que si la Géorgie a pu se défaire du communisme, elle a laissé l’Église orthodoxe prendre trop de pouvoir. Celle-ci dicte aux jeunes le comportement à avoir. Quant aux intellectuels, la plupart ne se détachent pas d’un certain conformisme de peur de perdre leur place à l’université… De l’étranger, on pense que tout va bien en Géorgie, mais ce n’est pas si simple. Il y a quelques mois, des jeunes filles ont brûlé des romans dans une librairie sous prétexte qu’ils étaient licencieux. Personne ne leur a demandé de le faire, mais elles ont tellement bien intégré les principes de l’Église qu’elles ont ressenti le devoir de le faire, c’est bien cela qui est dangereux, ce totalitarisme qui vit au travers des individus eux-mêmes ».

Mise en garde de la littérature

Le rappel de cette menace totalitaire est un point commun que la chercheuse décèle chez tous les auteurs qu’elle étudie : « tous témoignent du danger de la manipulation et du lavage de cerveau qui vont de pair avec le totalitarisme. Ils insistent sur le fait que c’est dangereux non seulement pour les personnes concernées par un régime totalitaire, mais pour l’humanité dans son ensemble. La volonté des systèmes totalitaires de faire advenir un nouveau type d’homme entraîne une propagande qui dicte à chacun comment penser et se comporter, et incite à rejeter celui qui serait différent. J’ai pu lire ce risque dans la production de l’écrivain belge Paul Willems. Son roman L’Herbe qui tremble, par exemple, illustre ce rejet de la différence par un des personnages, totalement assimilé à la volonté du groupe ».

Champ de recherche original

Si Atinati Mamatsashvili étudie les traits communs et les divergences entre le nazisme et le communisme au travers de la littérature française écrite sous occupation nazie, ainsi que la littérature allemande et la littérature géorgienne et russe à l’époque communiste, son séjour en Belgique lui a en effet permis d’étendre son étude à la littérature belge francophone écrite sous l’occupation allemande.

Ce pan de la littérature belge a été peu étudié jusqu’ici, et est même difficile d’accès puisque la plupart des romans écrits à l’époque ne sont pas réédités. « Les historiographes ont tendance à dire que cette littérature ne s’occupe pas de l’Histoire, or je remarque qu’une lecture entre les lignes de romans de Paul Willems, Max Servais ou Oscar Paul Gilbert fait apparaître clairement des références à l’occupation, ainsi que des métaphores du nazisme ou de la propagande ».
Les travaux de la jeune scientifique géorgienne sont donc une belle mise en lumière de notre littérature, mais aussi de la littérature géorgienne, pratiquement inconnue, les romans géorgiens n’étant actuellement traduits dans aucune autre langue et ne faisant l’objet que de peu d’études scientifiques.

Collaboration internationale renforcée

À mi-parcours de son séjour au CLGC, Atinati Mamatsashvili peut déjà tirer un bilan positif. Ce post-doctorat a été l’occasion d’élargir son champ de recherche et d’apprendre la langue allemande, et a également permis de renforcer la collaboration que son université d’origine, l’Université d’État Ilia (Tbilissi), entretient en matière de littérature comparée avec l’UNamur. Une rencontre scientifique de trois jours est ainsi programmée pour l’été 2014, à laquelle participera également l’Université d’Anvers. C’est plus particulièrement la littérature écrite sous le régime communiste en Allemagne de l’Est qui sera alors étudiée.

Le colloque que la chercheuse a organisé avec la professeure Bosse sur les rapports entre littérature et totalitarisme a été très fructueux et a débouché sur la nécessité d’approfondir la thématique via une nouvelle édition, prévue en mai 2014, et consacrée à la conceptualisation du phénomène totalitarisme-littérature. Lors de la première rencontre namuroise, des chercheurs des universités de Namur, de Tbilissi, d’Anvers et de Paris IV avaient pu croiser leurs analyses de textes de fictions et de témoignages, relatifs aussi bien au nazisme et au communisme qu’au XIXe siècle. Une variété de contenus qui a permis d’étudier la frontière entre réalité et fiction, les rapports à la censure ou à la langue (comment raconter l’indicible ?), ou encore, de montrer comment la propagande peut s’installer dans des textes littéraires et poétiques.